Une Europe transformée par l’extrême droite et la guerre à l’approche des urnes

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PARIS.– À moins de vingt jours des élections européennes, l’Europe est confrontée à une situation qu’elle croyait ne plus jamais connaître : alors que le projet européen, depuis 1950, s’est construit sur la recherche de la paix, symbolisée par ce fameux « Plus jamais ça ! » qui lui a donné naissance, la guerre s’est installée à ses portes. Et avec elle, il est aussi revenu un nouveau rapport de forces qui l’oblige à adapter ses règles pour rester dans la compétition mondiale.

Les élections qui auront lieu entre le 6 et le 9 juin seront le point de départ d’une période cruciale pour le bloc, à l’heure où, à l’intérieur de ses frontières, Le panorama politique et social semble plus incertain que jamais : montée de l’extrême droite, méfiance des citoyens à l’égard de la politique traditionnelle, recul de l’État de droit dans certains cas et coalitions gouvernementales de plus en plus fragiles.

Sommet européen à Bruxelles, en décembre 2023 (Archiver) François Lenoir – CONSEIL DE L’UE

Les dernières élections nationales dans l’UE ont confirmé une tendance en vigueur depuis plusieurs années : désaffection envers les partis politiques traditionnels, avec pour conséquence une augmentation considérable de l’abstention. La vie politique n’attire plus les militants et les candidats. Partout, l’Europe est témoin déclin progressif des partis au pouvoir, qu’ils soient de droite ou de gauche, qui se sont succédé au pouvoir pendant des décennies.

A gauche, c’est le cas du Parti socialiste (PS) en France, qui est passé de 250 sièges aux législatives de 1997 à seulement 31 en 2022 ; du Parti social-démocrate (SPD) en Allemagne ; le Parti Démocrate en Italie ou le Pasok en Grèce. La droite connaît la même situation avec Les Républicains (LR) en France, qui sont passés de 309 sièges en 2002 à 61 en 2022 ; l’Union chrétienne-démocrate (CDU) en Allemagne ; le Parti populaire (PP) en Espagne ; le Parti social-démocrate (PSD) au Portugal et surtout, Forza Italiequi est passé de 29,48 % des voix en 2001 à 8,12 % en 2022.

En chiffres : la gauche ne gouverne actuellement que dans quatre pays (Danemark, Espagne, Allemagne et Malte) et la droite modérée compte neuf chefs de gouvernement (Chypre, Roumanie, Grèce, Croatie, Suède, Irlande, Lituanie, Lettonie et Autriche). En fait, 12 États membres – soit environ la moitié du bloc – n’étaient gouvernés au début de l’année ni par la gauche ni par la droite.

André Ventura, leader du parti d’extrême droite portugais Chega, lors d’un meeting de campagne à LisbonnePATRICIA DE MELO MOREIRA – AFP

Le résultat a été une progression de partis radicauxsouvent qualifié de « populiste », plutôt situé à l’extrême droite du paysage politique. En France, les partis d’extrême droite, le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, et d’extrême gauche, Insoumise France (LFI), obtiennent ainsi des intentions de vote de plus en plus élevées.

Dans Allemagne, le parti xénophobe et néo-nazi Alternative pour l’Allemagne (AfD) affirme sa présence dans les Lânder de l’Est. Dans Espagnele parti d’extrême droite Vox est arrivé troisième aux élections législatives de 2019. le Portugalle populiste et ultralibéral Chega, a obtenu la troisième place aux élections anticipées de cette année, avec 18% des voix, doublant ainsi son score de 2022.

Une autre conséquence de ce détachement de la politique traditionnelle est la nécessité de rassembler un plus grand nombre de partis pour constituer un coalition gouvernementale majoritaire et solide. Contrairement à ce qui s’est passé il y a des décennies, Il est aujourd’hui indispensable de réunir au moins trois partis pour former un gouvernement. C’est le cas dans neuf pays de l’UE : l’Irlande, la Suède, le Luxembourg, la Slovénie, la République tchèque, l’Estonie, la Lettonie, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas. Ou plus, comme la Belgique, avec sept matchs.

Cette situation a des conséquences dramatiques lorsqu’il s’agit de prendre des décisions stratégiques. L’exemple est clair en Allemagne, où gouverne une coalition formée de sociaux-démocrates, de libéraux et de verts.

Le chancelier allemand Olaf Scholz monte à bord d’un avion dans le secteur militaire de l’aéroport de Berlin-Brandebourg (Dossier)Michael Kappeler – DPA

Deux ans et demi après son entrée en fonction, il est facile de constater les difficultés rencontrées par le gouvernement dirigé par Olaf Scholz, surtout lorsqu’il s’agit de la guerre en Ukraine, une question qui ne figurait pas dans le contrat de coalition, un document négocié en détail et entièrement rédigé en Allemagne.

Forza Italia, qui était autrefois la principale force politique du gouvernement italien, a accepté d’être le partenaire minoritaire d’une coalition dirigée par Giorgia Meloni, dont la formation, Fratelli d’Italia – le seul parti qui n’a pas participé au gouvernement d’union nationale de Mario Draghi – a remporté les élections de 2022.

Cette association atypique rassemble trois partis de droite, qui vont du centre à l’extrême et dont les députés appartiennent à trois groupes différents au Parlement européen : le Parti populaire européen (PPE) pour Forza Italia ; Identité et démocratie (ID) pour la Lega, et Conservateurs et Réformistes (ECR) pour Fratelli d’Italia.

La Première ministre italienne Giorgia Meloni lors d’une visite à Kiev (Dossier) GÉNIYA SAVILOV – AFP

Cette situation laisse-t-elle présager de profonds changements à Strasbourg cette année ? « Ces coalitions « plurielles » provoquent de très longues négociations pour parvenir à des accords de coalition. » » affirme Sylvain Kahn, chercheur et spécialiste de l’Europe.

Dans tous les cas, de l’Italie à la France, en passant par l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne ou la Hollande, les partis d’extrême droite s’apprêtent à obtenir des résultats considérables. Les sondages suggèrent en effet que – pour la première fois – deux des groupes les plus radicaux, ECR et ID, pourraient dépasser le centre-droit (PPE) et devenir la deuxième force au Parlement, atteignant 25% des 720 membres du Parlement. la chambre, créant une situation incertaine.

«Jusqu’à présent, le PPE a conservé l’habitude de travailler avec le centre-gauche. Mais, si ce dernier obtient de mauvais résultats, le centre-droit pourrait être contraint de chercher de nouveaux alliés», analyse Pascale Joannin, de la Fondation Robert Schuman. « Il pourrait ainsi naître une coalition populiste de droite, formé par des démocrates-chrétiens, des conservateurs et des radicaux de droite pour la première fois dans l’histoire du Parlement européen », ajoute-t-il.

La modélisation de l’Institut européen Power prédit que les partis populistes anti-européens remporteront les élections européennes en 2017. Autriche, Belgique, République tchèque, France, Hongrie, Italie, Pays-Bas et Slovaquie (où le Premier ministre Robert Fico a subi un attentat cette semaine, dans un climat de forte polarisation). Et ils arriveraient deuxième ou troisième en Bulgarie, en Estonie, en Finlande, en Allemagne, en Lettonie, au Portugal, en Roumanie, en Espagne et en Suède.

Sauvetage de migrants en Méditerranée près de Tarente, dans le sud de l’Italie (Dossier) Jérémie González – AP

“Cela signifie que, Au moins 50% des sièges seront occupés par des députés n’appartenant pas à la “super grande coalition” des trois groupes centristes, qui dominait jusqu’à présent le Parlement européen», analyse le rapport.

Sous la pression des sondages, les idées d’extrême droite ont déjà pénétré les partis politiques traditionnels. C’est notamment le cas de l’immigration. Dans son manifeste politique, le PPE appelle à un changement fondamental de la législation en matière d’asile. Pour la droite européenne, il faut transférer les demandeurs d’asile vers des pays tiers, hors UE.

Ce virage vers l’extrême droite pourrait s’arrêter, par exemple, les lois prévues sur la protection du climat et la durabilité. Ou influencer la législation sociale ou économique. Mais surtout, cela mettrait en péril l’aide financière et militaire que l’UE apporte à l’Ukraine depuis le début de la guerre.

Les présidents français Emmanuel Macron et ukrainien Volodimir Zelensky (Archiver)

Sur cette question, les positions sont cependant plus divergentes. La guerre en Ukraine et le soutien à Moscou constituent une ligne de fracture au sein des différents partis de droite. De même, toute l’extrême droite n’est pas anti-européenne. Giorgia Meloni, par exemple, sait qu’elle peut compter sur l’UE pour exécuter sa politique migratoire ou pour recevoir les 190 milliards d’euros du plan de relance européen promis à l’Italie.

«C’est pourquoi il ne faut pas se laisser berner par le message de force irrépressible que tente de véhiculer l’extrême droite. C’est vrai que ça compte. Mais ça loin d’être l’unité», précise Pascale Joannin.

A ce manque de cohérence s’ajoute -selon les spécialistes- une absence de ligne claire dans ses propositions, qui ne répondent pas sérieusement aux attentes des Européens, comme le montrent les sondages d’opinion. Mais selon Joannin, « les surprises ne peuvent jamais être écartées ».

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