Gratuit, secret… et caribéen | La Rioja

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A 7h30 du matin, une demi-heure avant l’ouverture officielle du scrutin, une petite file d’électeurs s’était déjà formée au bureau de vote sur la promenade de Cozumel, entre la 7e et la 11e avenue Sud. Il y en avait dix ou douze des gens de tous types et de tous horizons, du plongeur endurci en bermuda, pieds nus, avec un tatouage de Shiva sur le bras et un masque chirurgical sur le visage avec le drapeau symbolique de la plongée, au chauffeur de taxi d’une guayabera, un insulaire de toujours , ou le caissier du Yucatan à l’ombre d’un parapluie noir plus typique de Londres que d’une île tropicale. Le soleil, même s’il n’était pas encore huit heures du matin, faisait déjà monter le thermomètre au-dessus de 28 degrés et menaçait de dépasser les 32 sous une humidité relative proche de 70 %.

À gauche des candidats au vote, les Caraïbes, turquoise et indifférents, apparaissaient flanqués d’imposantes patrouilles de policiers et de militaires armés de mitraillettes pointées vers le bas, comme s’ils n’avaient pas peur de finir par se tirer une balle dans le pied… A leur droite, sur l’esplanade de la Poste, une paire d’énormes auvents blancs comme des tentes abritaient les bureaux de vote où un flux d’accrédités assemblait tant bien que mal de fragiles urnes en plastique, pliables, jetables et soi-disant recyclables, tandis que d’autres organisaient d’épaisses piles de bulletins de vote (on les appelle ici) au format feuille ou livrés directement au bricolage, en installant une sorte de cabine d’essayage de type camping conçue pour cacher l’électeur (jusqu’au genou) derrière des auvents laminés blancs qui proclamaient le devise principale en grosses lettres noires du jour : « Le vote est libre et secret ».

Gratuit et secret, vous le pouvez. Mais ponctuellement, non. Il était déjà huit heures trente et les bureaux de vote n’étaient pas encore ouverts, ce qui n’a pas réussi à déstabiliser les participants à la file d’attente, déjà plus de trente ans… Avec un niveau de stress caribéen proche du zéro absolu, la majorité discutaient avec animation avec leurs voisins comme si le manque d’efficacité politique et la chaleur infernale étaient des intempéries quotidiennes parfaitement acceptables. «Bonjour, Piliqui, comment va ta fille, est-elle grande ? Ah, est-ce que ça marche ? C’est bien qu’il soit installé maintenant…

A cette époque, Karina Morales, la personne chargée de récupérer la carte d’électeur de chaque électeur, justifiait le retard par une excuse irréfutable : “Je suis désolée, nous sommes des débutants”. Vêtue d’un T-shirt élastique proclamant ‘Game over’, l’obésité morbide de la charmante Karina contrastait avec son doux sourire. Le Mexique en tant que pays a aussi quelque chose de cela, un mélange de monstruosité et de bonnes vibrations.

La première chose qui surprend l’Européen, c’est que le Mexicain, qui souffre depuis si longtemps, soit obligé de voter autant de fois en une seule journée. À Cozumel, il y avait ce dimanche cinq urnes en plastique translucide dans lesquelles il a fallu insérer, avec difficulté, le gigantesque bulletin de vote et le plier en quatre parties. Chaque urne avec une couleur différente et son signe correspondant : Conseils Locaux, Conseil Municipal, Conseils Fédéraux, Sénateurs et Président. C’est peu comparé à la situation dans des États comme Jalisco, où il y avait une demi-douzaine d’urnes.

Comme c’est l’habitude au Mexique, une fois le vote effectué, chaque électeur se faisait peindre l’empreinte du pouce de sa main droite avec un marqueur à encre indélébile pour la laisser marquée et incapable de voter à nouveau… (au moins pendant deux jours). Les réseaux sociaux mexicains se sont remplis ce dimanche de photos avec le pouce levé taché d’encre. C’était une manière de réaffirmer que dans ce pays troublé, aujourd’hui divisé et polarisé comme tant d’autres, et où toutes sortes d’incidents ont été enregistrés, le vote doit continuer à être libre, secret… Et, au moins, dans des endroits comme l’île des Caraïbes depuis Cozumel, presque une fête.

#Argentina

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