La paix en Colombie, à la croisée des chemins entre une mise en œuvre oubliée et une paix totale qui ne cadre pas

La paix en Colombie, à la croisée des chemins entre une mise en œuvre oubliée et une paix totale qui ne cadre pas
La paix en Colombie, à la croisée des chemins entre une mise en œuvre oubliée et une paix totale qui ne cadre pas
-

La situation complexe de l’ordre public en Colombie se trouve à la croisée des chemins : la mise en œuvre de l’accord de paix signé par le gouvernement de Juan Manuel Santos et les FARC disparues semble abandonnée à son sort, tandis que le président Gustavo Petro se concentre sur sa politique de paix totale, qui semble désordonné et incertain. Les défis en matière de droits de l’homme et de sécurité sur l’ensemble du territoire national restent pressants, mettant à l’épreuve la capacité de l’État à consolider la paix et à garantir justice à toutes les victimes du conflit armé et à la population civile en général.

La mise en œuvre de l’Accord de paix, entre progrès et défis sérieux

Depuis la signature de l’Accord de paix en 2016, l’État a déployé des efforts importants dans la réinsertion économique et sociale des ex-combattants, ainsi que dans la réforme rurale globale. Selon le rapport trimestriel du secrétaire général de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie, 8 063 hommes et 2 815 femmes signataires ont été impliqués dans des projets productifs et 82 014 hectares de terres ont été formalisés à des fins productives. Ces avancées sont cruciales pour la stabilité et le développement rural du pays, et constituent une dette historique encore loin d’être réglée.

Toutefois, des défis persistent et sont alarmants. La sécurité reste une préoccupation majeure, avec 416 meurtres, 37 disparitions et 137 tentatives de meurtre de dirigeants sociaux et de défenseurs des droits humains vérifiés depuis la signature de l’Accord. L’Unité spéciale d’enquête du Bureau du Procureur a émis 513 mandats d’arrêt pour ces crimes et a obtenu 75 condamnations, des chiffres qui montrent le danger constant pour ceux qui promeuvent la paix et la justice. « Quel genre de paix construisons-nous si les défenseurs des droits humains continuent d’être des cibles faciles pour la violence ? » est l’une des questions qui résonnent le plus dans l’opinion publique aujourd’hui. Cette fameuse phrase que plusieurs d’entre nous ont promulguée en pleine crise sociale ne perd pas sa validité : « ils nous tuent ».

Des indigènes assistent à la veillée funèbre de Carmelina Yule Paví, une dirigeante indigène assassinée lors d’une attaque perpétrée par des dissidents des FARC, à Toribío (Colombie), en avril 2024. Ernesto Guzman (EFE)

Dans le domaine de la justice transitionnelle, la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) a réalisé des progrès significatifs, avec 151 inculpations pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et une reconnaissance de responsabilité par 89% des accusés. Ces réalisations sont fondamentales pour la réconciliation et la confiance dans l’Accord de paix. Toutefois, ces avancées ne seront pas suffisantes si la société ne s’attaque pas aux causes structurelles de la violence et si l’État n’offre pas une protection efficace à ceux qui sont en première ligne dans sa mise en œuvre. De même, il est particulièrement surprenant de voir qu’aujourd’hui le pétrisme, l’uribisme et les dirigeants des signataires semblent s’entendre pour lancer des fléchettes sur le Système Intégral de Vérité, Justice, Réparation et Non-Répétition (SIVJRNR) cherchant à affecter la légitimité non seulement de la JEP, mais aussi la Commission Vérité et d’autres institutions créées avec l’Accord.

Bulletin

L’analyse de l’actualité et les meilleures histoires de Colombie, chaque semaine dans votre boîte mail

RECEVEZ LE

La paix totale, une ambition excessive sans stratégie cohérente

Si la mise en œuvre se heurte à des difficultés, la politique de paix totale du président Petro semble peu judicieuse. Avec ce projet, le gouvernement a cherché à élargir le dialogue avec tous les acteurs armés en Colombie, mais la précipitation pour accorder un statut politique à des groupes armés tels que les dissidents des FARC (regroupés dans ce que l’on appelle l’état-major général central et la Deuxième Marquetalia) a semé la confusion. et le mécontentement d’autres acteurs, comme l’ELN et les Forces d’autodéfense gaitanistes de Colombie (AGC). Cette décision a mis à mal la stratégie de paix et compliqué les négociations. Comment peut-on parler de paix totale quand on agit avec autant d’improvisation et de manque de cohérence ?

La loi 2272 de 2022 a établi deux voies claires : les négociations politiques avec les groupes armés organisés et la soumission judiciaire aux structures criminelles à fort impact. L’unification de divers dissidents sous un parapluie auquel le gouvernement a donné un statut politique commun a détourné cette clarté, créant des incitations perverses qui découragent la soumission judiciaire. Cette confusion a affaibli l’autorité de l’État et compliqué la mise en œuvre d’une paix totale.

Pendant ce temps, les groupes armés ont accru leur présence et leur ingérence. Selon les données d’Indepaz, l’AGC ou Clan del Golfo est passé de 253 communes en 2022 à 392 communes en 2023 ; l’EMC de 230 à 299 et l’ELN de 189 à 23. Ces trois groupes sont déjà présents sur environ 40 % du territoire colombien, touchant plus de 8 millions de personnes. Le manque de présence et d’autorité de l’État dans ces zones non seulement perpétue l’insécurité, mais remet également en question la capacité du gouvernement à mettre en œuvre une politique de paix.

Danilo Rueda, haut-commissaire pour la paix, et Andrey Avendaño, délégué de l’EMC, s’expriment pour parvenir à un accord et à un cessez-le-feu bilatéral lors de la table de dialogue, en octobre 2023.Ferley Ospina

Un changement de cap est nécessaire de toute urgence

Alors que la mise en œuvre de l’Accord de paix est à la dérive et qu’une paix totale n’a aucun but, il n’est pas surprenant que la situation des droits de l’homme en Colombie reste alarmante. Les violences perpétrées par des groupes armés illégaux comme l’AGC et l’ELN continuent d’affaiblir le tissu social et la capacité de l’État à garantir la sécurité dans les territoires. Nous ne pouvons pas continuer à fermer les yeux sur la réalité selon laquelle les politiques échouent.

Il est crucial que le Gouvernement renforce les institutions chargées de la protection des droits de l’homme et de la mise en œuvre des politiques de paix. La collaboration avec les organisations de la société civile peut fournir des perspectives et un soutien précieux pour élaborer des stratégies plus inclusives et plus efficaces. En outre, il est essentiel d’améliorer la coordination et l’efficacité de la mise en œuvre de ces politiques, en veillant à ce que les actions du Gouvernement soient alignées sur les objectifs et les principes de l’Accord de paix.

Le gouvernement du président Petro doit abandonner ses discours grandioses et se concentrer sur des actions concrètes et cohérentes qui s’attaquent aux racines de la violence. L’improvisation et l’absence de stratégie claire discréditent non seulement les efforts de paix, mais mettent également en danger la vie de ceux qui travaillent sans relâche pour un pays plus juste et plus pacifique.

Un guérillero des FARC-EMC monte la garde sur une route à un poste de contrôle à Corinto, en Colombie, en avril 2024.Edwin Rodriguez (AP)

Abonnez-vous ici au bulletin d’information EL PAÍS sur la Colombie et ici sur la chaîne sur WhatsAppet recevez toutes les clés d’informations sur l’actualité du pays.

-

PREV Prévisions météo pour Río Negro aujourd’hui : quel temps fera-t-il ce vendredi 14 juin 2024
NEXT Gustavo Alfaro : « Aujourd’hui, la Colombie est peut-être au-dessus du Brésil »