«La littérature est toujours incomplète, il manque une cible, la place du lecteur»

«La littérature est toujours incomplète, il manque une cible, la place du lecteur»
«La littérature est toujours incomplète, il manque une cible, la place du lecteur»
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Il enseigne et pratique l’écriture créative, dirige un festival à Torrijos et tous les dix ans, il visite les librairies en tant que conteur. Eloy Tizón présente ce mardi au Rincon de Morla, à 19h30, (rue Doctrinos) son livre ‘Plegaria para pyrómanos’ ( pages en mousse).

–C’est un livre d’histoires avec pour fil conducteur, le personnage appelé Hérisson qui se place dans divers registres.

–Cette prière est une proposition littéraire qui se structure autour de la présence et de l’absence du Hérisson. Parfois, il parle et compte comme le protagoniste, d’autres fois, il apparaît flou dans l’arrière-plan de l’histoire. Cela me permet de créer un recueil d’histoires à vocation unitaire et de soulever des questions sur l’identité, sur qui nous sommes et, surtout, combien nous sommes, comment nous évoluons dans la même peau. Le personnage soulève la question de savoir s’il est toujours le même à des moments différents ou s’il s’agit d’hommes différents portant de nombreux noms.

–Le temps est-il la circonstance la plus déterminante ?

–Le noyau qui déplace toute l’écriture dans mon cas. Les questions sur le temps existent depuis mon premier livre, « La vitesse des jardins », et le passage des années les a rendues plus aiguës. C’est un mystère que nous ne pourrons jamais complètement résoudre. Les doutes que cela génère en nous produisent beaucoup de littérature, le changement de la nature humaine et tout ce qui est vécu et vu.

–La première nouvelle, ‘Grafía’, est trempée par la pluie de Benet, Lowry, Bloom, Beckett, McCullers, Dahl, Woolf, Cortázar… vos auteurs préférés ?

–Ce sont des auteurs qui m’intéressent, que j’ai lu et relu avec beaucoup d’assiduité et de plaisir et, étant donné qu’il s’agit d’une histoire qui traite de littérature, j’ai voulu que ce soit non seulement le thème mais aussi que cela se remarque dans la texture même. de l’histoire. C’est pour cela qu’il est rempli de citations, de petites références, de clins d’œil, non pas avec une volonté culturaliste mais plutôt au contraire, vitaliste, pour défendre que la culture n’est pas étrangère à l’existence mais que les auteurs et les livres qui nous ont émus font partie de notre vie. .

–Le timide hérisson du début est-il un Bartleby sans soulèvement ?

– Cela pourrait être beaucoup de choses. Xerio est l’un de ses avatars, c’est l’écrivain passionné d’écriture mais qui laisse au lecteur l’incertitude de savoir si cela fonctionnera ou s’il erre dans la littérature. Quand on parle de littérature on parle d’œuvres accomplies mais il y en a une autre. un cercle composé de gens qui le font. Ils essaient et n’y parviennent pas, peut-être n’ont-ils pas une œuvre réussie mais leur passion pour la littérature est authentique.

– Dans quelle bague est-il vu ?

–J’aimerais être de ceux qui produisent des œuvres, plus ou moins longues, mais au fil des années j’ai proposé des livres. C’est ma petite contribution.

– « Je ne sais pas quoi penser de moi », « Je ne rentre pas dans ma vie », « Je n’ai pas confiance en moi », affirment leurs personnages comme s’ils parlaient à leur psychanalyste.

– Il m’est impossible de raconter sans que la réflexion n’intervienne à un moment donné. Le livre est parsemé d’aphorismes ou de réflexions, ce ne sont pas des vérités incontestables mais des pensées qui peuvent donner lieu à réflexion. Ce sont des manifestations de personnages perdus, auxquels je m’identifie beaucoup. Je pense qu’on est tous assez perdus, sans idées très claires, ce sont des personnages avec lesquels je peux sympathiser, qui ne sont pas bien situés dans la société, qui sont à la dérive. Ce sont mes favoris.

– L’espace public est dominé par les condamnés.

–Il y a une pudeur sociale à se montrer vulnérable, je comprends que c’est très humain de vouloir se protéger, mais si on parle à différentes personnes et prends le temps d’écouter, cette désorientation est plus courante qu’on a tendance à le penser.

–Dans sa prose, il y a des clins d’œil au langage publicitaire, musical, cinématographique, tous très pop et personnels à la fois.

–J’aspire à un langage littéraire mais ouvert à la contamination des autres disciplines artistiques. Il faut échapper à l’enfermement dans un bunker et être réceptif aux sons du monde. Le langage est avant tout la musique.

–D’où l’histoire « Whisper Confirmation » et son évocation de Leonard Cohen ?

–C’est une histoire que j’aime, un hommage déclaré à un musicien, poète et narrateur qui, pour beaucoup d’entre nous, a une signification mythologique, comme tout ce qui entoure Leonard Cohen : ses chansons sont au centre mais aussi ses séjours. ses îles et ses retraites, ses amours et ses chagrins, je pense que c’est une figure très proche. Il est présent avec ses créations dans ma vie depuis que je m’en souvienne. Je savais que j’avais un rendez-vous imminent avec ce monsieur au chapeau et je suis allé la voir dans cette histoire.

–Vos histoires évitent-elles la morale ?

–Je dirais oui, on a tendance à écrire des histoires dont le sens n’est pas complètement fermé. Pendant des décennies, les fins ouvertes ont vaincu les autres modèles fermés dans lesquels elles contenaient une surprise finale. À l’heure actuelle, il a presque disparu et bien sûr, il serait problématique de proposer une morale au lecteur, appauvrissant ainsi l’histoire. Nous avons tendance à prédire un modèle dans lequel le lecteur participe et, au lieu de lui donner toutes les pièces, un vide est laissé, un espace blanc dans lequel le lecteur peut entrer et compléter l’histoire. La littérature est toujours incomplète, il manque toujours un petit morceau, heureusement, c’est la place du lecteur.

– Savez-vous comment dresser les puces ?

–Je connais la théorie. Un plasticien me l’a appris en Colombie. Il m’a expliqué que cela a à voir avec les restrictions qu’impose toute formation ou éducation. En fin de compte, éduquer, c’est générer des limites, dans quelle mesure nous pouvons colorier et, même s’il n’y a pas de règles fixes, nous continuons à les respecter parce que nous les avons intériorisées. Je trouve la métaphore intéressante lorsqu’on aborde les règles, y compris celles de la littérature, que l’on respecte et transgresse.

–Écrivez-vous en dehors de l’histoire ?

–Je suis avant tout un conteur, j’essaie d’écrire des histoires mais j’aime aussi tester les limites du genre. Ce ne sont pas des histoires orthodoxes ou classiques. Je m’interroge sur le genre lui-même, jusqu’où on peut aller, violer les règles, non pas tant les faire exploser que jouer avec, remettre en question certaines règles considérées comme presque sacrées. Je ne me contente pas de répéter des modèles, il y a toujours quelque chose qui m’encourage à bousculer la norme.

– Faudra-t-il attendre encore une décennie pour le prochain livre ?

–L’écriture a toujours quelque chose de aléatoire. Chaque jour, je m’assois pour écrire, parfois des idées et des images viennent, mais pas toutes. Ce qui est intéressant, c’est le processus en cours. Le temps nécessaire pour terminer les livres est le moindre des temps. Je le prends avec calme, il y a de l’art, de la patience, savoir attendre, écouter, profiter du voyage.

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